jeudi 26 janvier 2023

Sous les Figues, de Erige Sehiri

Critique par Milena Watzlawick




Sous le soleil chaud de Tunisie, nous rencontrons un huis-clos à ciel ouvert signé par Erige Sehiri. Son premier long-métrage léger nous dévoile le quotidien d’ouvrier·e·s paysan·ne·s travaillant dans des champs de figues. Au cœur d’une équipe bien soudée, les discussions sont parfois explosives et dénoncent les injustices qui ont lieu au sein des hiérarchies du monde du travail : les travailleur·euse·x·s sont exploité·e·x·s par le patron et le harcèlement sexuel est omniprésent pour les femmes présentes sur le terrain. 

De branche en branche avec un joli bruit de feuilles en fond sonore, nous comprenons gentiment, tout au long d’une journée, les liens qui unissent ces personnes. Les générations se confrontent et s'aiment tout de même. Malgré des réactions différentes à ce qui se passe sous les figuiers : on travaille, on s’écoute, on se critique, on tombe amoureu·x·se, on crie, on chante, on pleure mais, quand même, on rit. 

Le rapport entre le patron et les employé·e·x·s apporte une réalité concrète et brute sur les conditions de travail. Une révolution prolétaire à l'échelle d’une petite quinzaine de personne est à l’œuvre et, menée par une sororité unissant les femmes travailleuses, elle commence à se faire entendre. Parviendra-t-elle à couvrir le bruit des arbres ?

 

mercredi 25 janvier 2023

Blanquita, de Fernando Guzzoni

Critique par Emmanuelle Geisinger

 


 

Au Chili, une jeune femme placée dans un foyer pour mineur·e·s victimes d’abus sexuels accuse un puissant groupe de politiciens de viols et d’agressions. On se retrouve alors emmêlé·e·x·s à une affaire complexe où mensonges et vérités se mélangent. Combats de pouvoir, rapports de force, tabous et traumatismes révèlent une société divisée entre la religion, les pressions politiques et l’argent.

L’esthétique générale est correcte, il y a quelques scènes visuellement mémorables mais, dans l’ensemble, le film reste formellement assez sage et aborde son sujet dans des tonalités grises qui rappellent le genre du thriller. On est tout de suite plongé·e·x·s dans une atmosphère pesante sans pour autant être étouffante. On ne trouvera pas avec Blanquita des images époustouflantes mais une histoire émouvante et puissante qui confronte ses spectateur·ice·x·s à une analyse glaçante des systèmes juridiques et sociétaux actuels. Le film nous fait réfléchir à qui nous donnons la parole et pose une question intéressante et plus actuelle que jamais :

À partir de quand la vérité légitimise-t-elle le mensonge ?

Les Damnés ne pleurent pas, de Fyzal Boulifa

Critique par Tess Stein

 



Les Damnés ne pleurent pas, fiction de Fyzal Boulifa, nous transporte au Maroc. On y rencontre Fatima, la quarantaine, qui s’occupe seule de son fils de 17 ans, Selim. La petite famille vagabonde de ville en ville sans moyens, cherchant sans cesse une stabilité de vie qu’elle ne trouvera jamais au cours du film. 

Après avoir couché avec un Français contre rémunération, Selim est engagé dans son Riad comme homme à tout faire. La relation fusionnelle qu’entretenaient jusque-là la mère et son fils se brise : des non-dits hantent la famille au sujet de la naissance de Selim et des bruits courent sur ce qui se passe dans le Riad. Fatima et Selim ressentent de la honte l’un·e envers l’autre et la communication ne se fait pas facilement, empêchée par l’incapacité des personnages à exprimer leurs émotions hors des carcans d’une société qui n’accepte ni l’homosexualité, ni le travail du sexe, ni la naissance d’un fils hors mariage. 

Le·a spectateur·ice·x est frustré·e·x : on aimerait qu’iels communiquent, on aimerait qu’iels échangent des émotions, on aimerait qu’iels se disent ce qui se passe dans leur tête à chacun·e·x, mais ça n’arrive jamais. Le film nous frustre et ne tranche pas pour nous : on assiste à une véritable course-poursuite relationnelle entre ces deux êtres qui se cherchent puis se fuient, s’aiment puis se détestent, le tout de façon désynchronisée et aléatoire. Il nous laisse au beau milieu de cette course infinie : sans véritable achèvement, on se retrouve face à une nouvelle esquive de Selim, comme si le film échappait à sa propre fin.



 

jeudi 24 février 2022

 Women Do Cry, de Vesela Kasakova et Mina Mileva

Critique par Lilou Lo Greco



Women Do Cry est un long métrage à travers lequel on vit l’histoire de femmes, de sœurs, de mères, de filles qui sont toutes liées par le sang, mais surtout par la confrontation face à la société patriarcale en Bulgarie. Les réalisatrices, Vesela Kazakova et Mina Mileva, ont réalisé un film basé et filmé par des femmes, au sujet des femmes, qui nous emmène dans le quotidien d’une sororité de femmes bulgares.

Lorsque l’on regarde Women Do Cry, on voyage entre le rire et les larmes. Nos émotions sont chamboulées tout au long du film par la confrontation entre une atmosphère poétique créée par une composition d’images autant colorées que douces et des scènes parfois plus spontanées qui nous rappellent que c’est une histoire vraie. Ce processus rend le spectateur mal à l’aise et surtout créer une remise en question chez celui-ci sur l’image conservatrice que tient la femme en Bulgarie et même ailleurs. 

Women Do Cry, c’est aussi des moments qui peuvent être choquants et qui nous font travailler les méninges pendant plusieurs jours. On y voit des scènes où des hommes refusent de porter des préservatifs ou une autre dans laquelle un médecin refuse d'ausculter Sonja, atteinte du VIH, au nom de son idéologie libérale. Sonja est le personnage qui nous fait le plus vibrer car elle nous emmène avec elle dans un univers où la joie, la colère, le rire et la tristesse coexistent.

Ce film parle des problèmes que la femme rencontre sur son parcours. Néanmoins, on y retrouve un sous-thème, le VIH. Malheureusement, on se perd parfois entre celui-ci et le problème du patriarcat, l’un cache l’autre et l’autre cache l’un. Si ce sentiment d’un double film peut être frustrant (on aimerait encore plus des deux !), il semble aussi nécessaire : les réalisatrices font cohabiter deux sujets importants qui s’entremêlent pour faire naître un film qui vous fera changer totalement de regard sur le monde qui vous a été caché jusqu’à maintenant.


 Women Do Cry, de Vesela Kasakova et Mina Mileva

Critique par Natalia Vonlanthen



Women Do Cry est une fiction de type particulier car réalité et fiction s’y entremêlent fortement. En effet, le film raconte l’histoire d’une famille en Bulgarie, inspirée de celle d’une des réalisatrices, Vesela Kasakova. On y retrace les trajectoires de femmes qui vivent ensemble, leurs existences étant à la fois singulières et banales. Vesela Kasakova a choisi les femmes de sa famille comme actrices. Le film est donc basé sur leurs expériences, et elles jouent leurs propres histoires. Cette double incarnation amène une intensité époustouflante à leur jeu et à l’histoire.

Veronica souffre de dépression post-partum, délaissée au foyer avec son enfant par son mari. Ana cherche un peu de sens dans l’astrologie et la méditation. Et Sonja apprend qu’elle est séropositive...La maladie de Sonja va cristalliser des non-dits, réunir les femmes de cette famille, et resserrer les liens entre elles. Cette œuvre illustre aussi bien leur fragilité que leur force inouïe, à travers la métaphore de la cigogne blessée.

Ce film est extrêmement riche : beaucoup de sujets sont abordés et plusieurs histoires sont racontées en parallèle, se faisant écho les unes aux autres. Cela transmet un sentiment chaotique, bien propre à l’existence de ces femmes. Les liens familiaux complexes sont traités avec beaucoup d’authenticité et de finesse. Les liens qui les unissent et leur soutien, primordial en ce moment de crise, sont très touchants. J’ai été frappée par la force de caractère et la frontalité de Sonja et Lora.

À travers leurs existences, le film dévoile en partie la réalité politique de la société bulgare post-communiste, notamment concernant la violence de genre. Je dois ajouter que la musique est très révélatrice, belle et émouvante. Il est également très agréable de voir des corps nus filmés sans sexualisation.

C’est souvent absurde, drôle et sombre à la fois, poussant les limites de l’imaginable. On est sans cesse surprises! C’est une véritable ode à l’indépendance, à la sororité, au pardon, dans un monde profondément violent et misogyne.

Bouffée d’air absolument nécessaire!


Introduction, de Hong Sangsoo

Critique par Elisa Revol


Dans Introduction, un film de Hong Sangsoo, on suit Youngho un adolescent de 17 ans qui paraît encore impulsif et naïf. Le court film (60’) est divisé en trois parties qui concernent toutes Youngho. Chaque partie est rythmée par de petites discussions avec différentes personnes de son entourage puis, de silences qui nous laissent à une certaine contemplation. 

Malgré le fait que le film soit découpé en trois parties claires, on n’est jamais vraiment certain de leur chronologie ou ne de leur appartenance à la même histoire. Tout au long du film, on est maintenu dans une sorte d’état d’incertitude. Le fait que le film soit en noir et blanc et soit assez lent le rend plutôt poétique ; quand on visionne ce film, on a l’impression de faire une pause du monde bourdonnant habituel. On se laisse happer dans ce petit univers doux et agréable. Pour autant, Hong Sangsoo nous rappelle à plusieurs reprises que ce qu’on regarde n’est pas la réalité mais bel et bien un film de par ses choix esthétiques :  le noir et blanc, mais aussi des zooms peu fluides, qui sortent le spectateur de son immersion. Un autre détail qui nous rappelle à la réalité sont les contre- jours très violents : à chaque fois qu’il y a une fenêtre, l’extérieur est complètement blanc à cause du contre-jour très marqué, ce qui donne un côté presque irréel à la mise en scène. J’ai fort apprécié ce doux périple entre simplicité et rêverie dans lequel le réalisateur nous a emmené.


vendredi 28 janvier 2022

Life of Ivanna, de Renato Borravo Serrano

Critique 3 par Lilou Lo Greco

Life of Ivanna est un documentaire dans lequel nous suivons une mère de cinq enfants, mais surtout, une femme forte et de caractère qui a eu le courage de fuir une ancienne relation abusive pour poursuivre une nouvelle vie nomade dans une cabane roulante. C’est dans la toundra arctique que nous intégrons le quotidien d'Ivanna. On rentre intimement dans sa vie, grâce à une caméra qui prend le temps d’aller au plus proche des bouts de vie qu’elle capture. Renato Borrayo Serrano, le réalisateur, nous immerge totalement dans un monde inconnu de notre univers occidental. Mais grâce à la sensibilité du regard porté sur les personnages, on ne se sent jamais perdu. Au contraire ! on se sent rassuré et inclus dans leur environnement.

Malgré ce sentiment d’intimité familiale, ne pensez pas que vous allez vous ennuyer lorsque que vous regarderez Life of Ivanna, au contraire. Le film est autant réconfortant que captivant, notamment grâce à la présence des cinq enfants d’Ivanna. On les suit dans leur découverte du monde et leurs jeux d’enfants, on retourne en enfance avec eux.  Malgré tout, on retrouve tout de même une femme à la première place de l’histoire, elle nous inspire et on est forcé à l’admiration plus le film avance et qu’elle se dévoile avec toutes ses valeurs et ses forces.

Après avoir regardé Life Of Ivanna, on se sent perturbés, émerveillés mais aussi un peu frustré d’avoir dû quitter Ivanna, dont on a touché du bout du doigt l’univers. Un film qui bouleverse et fait danser les émotions dans  un mélange nouveau, qu’on aurait jamais pensé éprouver en même temps.   

 Life of Ivanna, de Renato Borravo Serrano

Critique 2 par Elisa Révol

Le réalisateur guatémaltèque Renato Borravo Serrano nous emmène dans la toundra glaciale de la Sibérie à travers le documentaire d’observation Life of Ivanna, qui suit la jeune Ivanna et ses cinq enfants. Renato Borravo Serrano se rend d’abord en Sibérie afin de visiter la ville natale de sa femme. Il y rencontre Ivanna, qui est née dans le même hôpital que sa femme. De cette rencontre nait un documentaire. Nous suivons Ivanna et ses enfants durant quatre ans. Durant cette période, on accompagne Ivanna d’abord dans la toundra où elle vit dans une roulotte de 6m² avec ses cinq enfants, puis dans son déménagement plus tard en ville. On est très vite emportés dans l’univers ardu d’Ivanna, une femme très forte et charismatique, élevant ses enfants seule qui arrivera à fuir une relation abusive. On est  rapidement intégré dans l’univers familial: Renato Borravo Serrano a d'abord vécu 3 semaines avec la famille avant de filmer quoi que ce soit. Lorsqu’il lance sa caméra, les enfants et la mère sont complètement habitués à sa présence et la caméra semble faire partie de la famille. Cela nous donne vraiment un ressenti familier et naturel qui en devient presque accueillant. On a l’impression de vivre ce qu’ils vivent, que cela soit des rires ou des pleurs. On se sent particulièrement proche des enfants d’Ivanna : à plusieurs reprises, on est le témoin de scènes où les enfants sont livrés à eux-mêmes et découvrent à leur tour ce que nous avons déjà découvert auparavant, comme quand un des enfants tente d'ensevelir une lumière projetée sur la neige, en vain. Ces petites scènes du quotidien loin de lasser, rendent ces banalités captivantes – notamment grâce à un montage sonore rythmé de silences et de vacarmes, de rires puis de cris.

Life of Ivanna nous emmène dans un voyage émotionnel et contemplatif. Les émotions se succèdent et se bousculent : d’abord les enfants nous font rire, on les trouve mignons, puis un portrait de la vie dure d’Ivanna pour laquelle on compatit est tiré et enfin on témoigne de l’abus de son mari Gena lors d’une soirée entre amis. Renato Bovarro Serrano propose un film où chacun pourra s'émerveiller en contemplant ce monde plein de mystère. J’ai trouvé ce film émouvant. Je me suis laissé submerger par les émotions parfois légères, parfois pleines de douleurs, mais toujours pleines de beauté.